❝ Belle ? Certainement pas. ❞ • J'avais toujours détesté mon apparence. A chaque fois que je croisais un miroir, chaque minuscule imperfection de ma peau, chaque défaut de mon visage, chaque millimètre mal placé me frappait comme s'il s'agissait de la laideur absolue. Et puis, il y avait mes cheveux bruns filasses, dont la couleur était à peu près potable, sans texture, que je bouclais régulièrement – je les préférais ainsi, la plupart du temps – et qui, ô merci, parvenaient à dissimuler mes oreilles à la forme incertaine. Mes yeux, je les détestais. J'avais toujours détesté les yeux tombants, et je haïssais réellement les voir, ainsi que le marron boueux de leurs iris. Mon nez, je ne souhaitais même pas en entendre parler. Ma bouche et mes dents, par contre, étaient regardables, et les sourires que je tentais d'afficher en tous temps sur mon visage en étaient conscients. Mon cou, je le trouvais trop épais. Mes épaules, trop carrées. Mes bras, trop graisseux, tout comme mon ventre, mes cuisses et mes jambes. Et en plus, j'étais grande. Le genre de fille qui fait cinq centimètres de plus que les mecs de sa classe, même si elle a sauté quelques classes. Parfois, j'aimais bien ce sentiment de grandeur, de supériorité. Mais il fallait se rendre à l'évidence ; personne n'aime les filles trop grandes. Et malgré les quelques personnes qui me trouvaient mignonne, je n'arrivais pas à envisager que je puisse être considérée comme belle dans une quelconque dimension.

❝ Incapable d'agir. ❞ • Comme tout être humain, j'étais d'une complexité alarmante. En plus de mes sautes d'humeur beaucoup trop fréquentes à mon goût et ma tendance à me sentir parfaitement vide, j'étais incapable d'agir. S'il se passait quelque chose devant moi, si quelqu'un se faisait agresser devant mes yeux, je ne serais que capable de rester plantée là, incapable de faire un geste, de m'enfuir, d'appeler à l'aide.
De plus, je pleurais très facilement. Il m'avait semblé que cette caractéristique avait disparu, quelques mois après la mort de Jennie, mais je n'avais juste plus de larmes à verser. Je m'énervais régulièrement pour rien et étais beaucoup trop possessive à mon goût, surtout avec les gens, mais à part ne pas le manifester, je n'étais capable d'aucune amélioration sur ce point.
Mais la seule chose que j'aimais vraiment et qu'on ne pourra jamais m'enlever, c'est le chant. J'avais commencé à chanter toute gamine, avant que ma famille ne soit déchirée, et c'était quelque chose que cet événement n'avait pas fait disparaître. Je n'avais jamais pris de cours, mais je pensais m'en sortir plutôt bien. J'adorais aussi la science-fiction, malgré ma culture vaguement limitée en la matière.

❝ Seule. Tellement seule. ❞ • Je n'avais pas eu vraiment de chance dans ma vie. Certes, j'avais des parents géniaux, très probablement inégalables, mais… Mais mon père mourut, alors que j'atteignais les sept ans, d'un cancer, suivi environ un an plus tard de ma petite sœur, Jennifer, qui n'avait que cinq ans – et une maladie encore inconnue. C'est ce qui m'avait persuadé de me lancer en médecine ; je voulais éviter que trop d'autres personnes meurent.
Depuis ce jour, je vivais seule avec ma mère, dans cette maison du centre-ville de Lown qui a toujours été la nôtre, mais qui semblait tellement, tellement différente sans ceux qui étaient partis. Ma mère passait le plus clair de son temps en dépression, mais pour ma part, je refusais de me laisser abattre. Je vivais pour Jennie, ni plus ni moins. C'était probablement tout ce qui me faisait tenir debout, avec mon refus de laisser tomber ma mère.
Mais ce point n'était pas réciproque, je le compris la première fois qu'elle tenta de mettre fin à ses jours. Je n'étais pas une raison de vivre suffisante. Et c'était l'une des pires choses qu'une gamine pouvait découvrir. Mais – ce fut la dernière chose courageuse que je fis réellement – je ne l'abandonnai pas pour autant. Malgré l'intérêt qu'elle paraissait me porter, elle était ma mère. Elle m'avait donné la vie, et je n'allais pas la laisser se la lui reprendre ainsi. Je m'occupais donc d'elle, toujours, du mieux que je pouvais. Cela faisait six ans, mais ces six années paraissaient être une éternité lassante, sans personne pour me soutenir dans ma vie, mes projets.
Car seule, je l'étais. Dans mon lycée, un établissement à l'extérieur de la ville – Lown High School était un établissement privé, donc payant, et les revenus de ma mère étaient trop faibles pour être gaspillés –, j'étais loin d'être appréciée. De joyeuses rumeurs circulaient, des rumeurs dont j'étais la victime. De basiques insultes à l'idée que j'étais la cause des deux décès qui m'avaient bouleversée. Folies infondées, certes, mais même un mensonge peut blesser. Un mensonge que tous croyaient, lui, était plus destructeur que tout. J'aurais aimé laisser tomber mon établissement, probablement même déménager, mais j'étais trop attachée à cette ville – et puis, ma mère ne serait jamais d'accord – pour pouvoir la quitter. Je dus donc me replier vers Lown High School, additionnant à mes cours un job de serveuse dans un café de la ville ; de cette manière, je payais une partie de mes études.
Ma vie était loin d'être facile.